Le Tour de France 1910

Photo exceptionnelle de la première montée du Tourmalet en 1910 (ici Octave Lapize).

Le Tour de France a été créé en 1903, mais l'année 1910 restera dans l'histoire. C'est en effet cette année là que sont franchis pour la première fois des cols de haute montagne. L'étape du 21 juillet 1910 entre Luchon et Bayonne (325 km !) avec les montées successives du Peyresourde, de l'Aspin, du Tourmalet et de l'Aubisque restera dans les mémoires comme l'étape la plus difficile jamais courue.

Présentation

On connaît l’histoire de cette étape surtout grâce aux différents articles parus dans la presse de l’époque.


Voici ce qu’on pouvait lire dans le journal local de Bagnères-de-Bigorre le 24 juillet 1910 : « On s'est porté en foule, ce jeudi 21 juillet, par un temps magnifique, à Sainte-Marie, à Gripp, au Tourmalet (dégagé de la neige, la semaine avant) pour voir passer les cinquante cyclistes accomplissant leur Tour de France. Plus de trente automobiles étaient là, ainsi que beaucoup de cyclistes amateurs et de nombreux visiteurs de toute sorte. On a vu les concurrents, descendre et remonter les côtes, méconnaissables sous leur couche de poussière et de sueur, encore solides et résistants, prêts à franchir les 2122 m; du Col du Tourmalet, point culminant de leur traversée des Pyrénées. Cette journée du jeudi 21 est, au dire des concurrents, la plus sévère épreuve sportive qu'on ait jamais enregistrée. »

En 2010, de nombreux livres sont parus sur le Tour de France. Le livre de Jean-Paul Rey « L'étape Assassine » fourmille d'anecdotes sur cette étape de légende.

Merci à Jean-Paul Rey, écrivain du Tour de France, pour la lecture bienveillante de cette page et pour les précisions qu’il a bien voulu nous apporter. Nous ne pouvons que vous conseiller la lecture de ses ouvrages sur l’étape Luchon-Bayonne de 1910 : « L’étape assassine » et « La folle épopée ».

Les horaires de départ des étapes sont situés entre 23h30 et 6h30 du matin afin que les arrivées soient jugées dans l'après-midi ! Lorsque Henri Desgranges annonce aux 136 engagés que le Tour franchira des cols dans les Pyrénées, 26 coureurs décident de ne pas partir.

1910 - Lapize et Blaise au ravitaillement-contrôle.

En 1910, le classement ne se fait pas au temps, mais aux points. Sur 110 partants, seuls 41 finiront le Tour. Quinze étapes sont au programme entre le 3 juillet et le 31 juillet avec une journée de repos entre chaque étape.

1910 - Départ d'une étape. Au premier rang : Faber, Van Houwaert, Blaise et Lapize.

Voici le menu des cols à franchir.

Une rencontre dans le col de Portet pour Lapize, Cruppeland et Georget lors de l’étape précédente.

Les crevaisons sont fréquentes, ici pour Lapize. Toute assistance est interdite, aussi deux jeunes gens en profitent pour se faire photographier en compagnie du champion.

L'affiche officielle résumant le Tour 1910.

Les champions

Quelques portraits des champions de 1910 :

Charles Cruchon

François Faber

Octave Lapize

Gustave Garrigou

Le départ de l’étape (Peyresourde-Aspin)

Seuls 59 coureurs sont au départ de Luchon à 3h30 du matin ! L'étape fait très peur car à cette époque les cols des Pyrénées sont juste un peu mieux que des sentiers pour les troupeaux. Des coureurs en reconnaissance affirment avoir rencontré des ours sur les hauteurs du Peyresourde. Les chemins boueux, creusés d'ornières sont surnommés le « cercle de la mort ». Le mot « Tourmalet » signifie d'ailleurs mauvais détour... Mais les organisateurs (traités de tous les noms) affirment que si Madame de Maintenon en cure à Cauterets, a franchi le Tourmalet en chaise à porteur, il n'y a aucune raison qu'on ne le fasse pas à bicyclette !

Lapize dans la montée de l'Aspin.

Le 21 juillet donc, au départ de l'étape, c'est le luxembourgeois Faber qui est en tête du classement avec 15 points d'avance sur Lapize. Mais dès le Peyresourde, Lapize, Garrigou et Blaise passent en tête au bout de 57 minutes. Sur la montée d'Aspin , on assiste à une lutte terrible entre Garrigou et Lapize. C'est Lapize qui passe le col d'Aspin à 5h43 avec 3mn d'avance sur Garrigou. La descente sur Sainte-Marie de Campan est effrayante. Dans une demi-obscurité, les coureurs atteignent souvent les 50 km/h.

Cruchon, en troisième position, au sommet du col d'Aspin.

Le col du Tourmalet

Au pied du Tourmalet, après Sainte-Marie-de-Campan, Garrigou est revenu dans le sillage de Lapize. Il a profité de ses qualités de descendeur.

Garrigou, au pied du Tourmalet. Pour être exact, c'est la première fois que le Tour de France franchit le Tourmalet en 1910, mais d'autres épreuves cyclistes l'ont déjà franchi auparavant dont l'épreuve Tarbes-Tarbes en 1902 (avec notamment une femme), mais ces épreuves étaient relativement courtes et le changement de vitesses était autorisé.

La montée du Tourmalet est terrible et soudain, après 13 kilomètres de montée, on aperçoit Lapize qui met pied à terre. Il faut dire que les vélos de l'époque pèsent dans les 12-13 kilos (contre 7-8 actuellement). Et même si on connaît déjà le dérailleur, les modèles à plusieurs vitesses ne seront utilisés que dans les années 1930 dans le Tour de France (interdits par l'organisateur jusque là).


C’est la célèbre photo de Lapize dans le Tourmalet.

Lapize monte le Tourmalet. Il vient de mettre pied à terre.

L’ascension du Tourmalet, Lapize est en tête.

Mais Garrigou est toujours derrière Lapize. Ce dernier remonte sur son vélo et franchit le Tourmalet vers 7h30. Garrigou n'a jamais mis le pied à terre et pour cet exploit, il recevra une prime de cinq Louis d’or, soit l’équivalent de 150 francs. En fait, c'était l'objectif que s'était fixé Garrigou avant le départ de l'étape.

Garrigou.

Le sommet du Tourmalet est franchi par Lapize à 7h30 du matin.

Arrivée de Lapize au sommet du Tourmalet.

Descente du Tourmalet, arrivée à Barèges de Pierre Albini, en troisième position, à 6 mn de Lapize.

Les cols du Soulor et de l’Aubisque

A peine le Tourmalet achevé, il faut se ruer vers l’Aubisque (en empruntant d’abord le Soulor). Ici Albini et Cruchon à Argelès-Gazost. Un moment important sera le passage du local (Béarnais) François Lafourcade en tête en haut de l'Aubisque avec 15 minutes d’avance sur Lapize. Il ne sera doublé qu'à la sortie de Mauléon au col d'Osquich… Épuisé par les efforts, il sera rejoint, et terminera cinquième de l'étape.

Albini et Cruchon dans le Soulor.

Albini a rejoint Lapize dans l’Aubisque.

L'arrivée est encore loin (à Bayonne !), mais après de nombreuses péripéties et devant dix mille personnes Lapize remporte l'étape en prononçant ces paroles restées célèbres : « Assassins, vous êtes tous des assassins ! ». Parti à 3h30 devant le Casino de Luchon, il est arrivé à 17h40 à Bayonne (les quatre derniers de l'étape sont arrivés ensemble à 1h13 du matin !).

Détente et repos

Il n’y a des étapes qu’un jour sur deux, aussi on retrouve dans la presse les moments de détente de nos champions :

La veille de la terrible étape, le directeur sportif de l'équipe Alcyon vient jouer du violon pour détendre son leader François Faber !

Au soir d'une étape pyrénéenne, Garrigou fait la lecture du journal l'Auto à son ami Lapize.

Faber, Trousselier et Vanhouwaert se promènent à Biarritz.

Toujours à Biarritz, Lapize, Godivier, Bettini, Garrigou et Blaise ont choisi un autre mode de locomotion.

L’arrivée du Tour à Paris

31 juillet 1910 - Lapize remporte à Paris le Tour de France le plus dur de l'histoire :

Mais c’est Azini qui remporte l’étape.

Garrigou ne finit que troisième du Tour. Il faut dire qu'il a été retardé dans les dernières étapes sur incident mécanique (quelqu'un avait dévissé les contre-écrous de ses roues !). Quant à Faber le vainqueur 1909, il fut handicapé par son poids sur les routes de montagne et ses ultimes contre-attaques échouèrent suite à des crevaisons et une chute (Il effectua l'étape Bordeaux-Nantes avec une seule pédale et une moitié de guidon !).

La bise de maman.

Ceux qui n’avaient pas d’équipe étaient des « isolés ».

Faber, le vainqueur de 1909.

Appelé à servir sous les drapeaux en 1914, Lapize est d’abord affecté, grâce à sa notoriété, à conduire la voiture du Général Foch. Mais dès 1915, il demande à être muté dans l'armée de l'air, il devint pilote puis moniteur. Il formera des dizaines de pilotes dans le camp d’Avord, près de Bourges. Il se lassera aussi de ce rôle et demandera à monter en première ligne. En février 1917, il est basé à Bar-le-Duc, puis à Toul en mai 1917. Il obtient d’emblée une citation pour acte de courage pour « avoir sauvé un monoplace d’escorte en très mauvaise posture ». Son avion fut touché par un biplan allemand et tomba en vrille lors d'un combat à 4500 m d'altitude au-dessus de la Lorraine. Lapize est mort, cinq balles dans la poitrine, à 30 ans le 14 juillet 1917.

Quelques liens :


Le col du Tourmalet. Des photos rares du Tour de France 1910. Accueil.

Pour terminer

La statue d'Octave (en hommage à Octave Lapize) nous rappelle cette époque héroïque. Cette sculpture passe l'hiver à Gerde (à côté de Bagnères-de-Bigorre), et au printemps on la déplace au sommet du Tourmalet pour passer l'été. Cette « montée du géant » est suivie par de nombreux cyclistes et constitue un petit événement.

La montée du Géant.

La statue de Lapize devant l’ancien centre Laurent-Fignon.

Quelques événements de l'année 1910 pour mieux nous situer :

Crue record de la seine, Paris inondé,


Première expérience du cinéma parlant par Léon Gaumont,


Premier poste TSF, dit poste à galène,


La comète de Halley frôle la Terre, vent de panique sur la planète,


Latham atteint les 1000 mètres d'altitude en avion,


Mort de Léon Tolstoï, Jules Renard et Henri Dunant,


Création du Tournoi des Cinq Nations (rugby),


Cyclisme : Eugène Christophe gagne un terrible Milan-San Remo sous la neige (4 arrivants !)

Plusieurs manifestations  rappelant cet événement furent organisées par le Conseil Général en 2010. Parmi celles-ci, la pose de « totems » au début des ascensions des cols d’Aspin et du Tourmalet où on peut lire « Route historique du Tour de France depuis 1910 ».

La tombe de Lapize à Villiers-sur-Marne.

Octave Lapize se passionne très vite pour les avions. On le voit ici sur ces deux clichés lors d’une journée de repos à Caen sur le Tour de France 1910. Il va effectuer un vol sur un Blériot piloté par Morane.

Photo exceptionnelle de Lapize en 1917, s’exerçant à la mitrailleuse sur son Nieuport de chasse à Ars-sur-Meurthe. C’est une des dernières photos de cet homme hors du commun.

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Lapize dans un des virages les plus dangereux avant d’arriver à Eaux-Bonnes.